Page 11 - Syrie les femmes parlent
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Denise • Alep


          1 Denise


          Le  Jardin  public,  à  9h  le  matin,  encore  nimbé  de  la  fraîcheur
          nocturne, encore assoupi.  De temps à autre,  un coureur à pied,
          parfois  une femme,  casquette déjà sur la  tête.  Le Jardin  public,
          lieu convivial par excellence, lieu de détente familiale,  mais aussi
          lieu  d'apprentissage,  de  transmission.  C'est  dans  ce  palais  de
          verdure où, avec son mari, elle a installé son centre de formation
          aux métiers traditionnels, que Denise m'a fixé  rendez-vous. Nous
          avions fait  connaissance il y a deux ans,  dans la ville même, lors
          d'un colloque sur la reconstruction d'Alep. Petite brune, vive, aux
          gestes  précis,  elle  a  immédiatement  répondu  à  mon  invitation.
          Artiste? Artisan ? Un seul et même métier de passion et de trans-
          mission.  Nous  nous installons sur un  banc sous  le  feuillage,  un
          banc directement taillé dans le  tronc de l'arbre, sa fille  nous sert
          le café.  Face à l'afflux touristique des années 2000 qui a généré la
          nécessité de remettre en état nombre de maisons  traditionnelles,
          le couple avait créé une association pour délivrer ses formations au
          travail traditionnel de la pierre, du tissu, du bois, du métal. Il avait
          été  difficile  avant  la  guerre  de  l'enregistrer  en  raison  du  grand
          nombre d'obstacles  administratifs  répartis  en différents  services.
          Paradoxalement, la guerre a facilité les démarches des associations,
          l'État reconnaissant leur bien-fondé dans l'éducation des enfants,
          le développement culturel,  professionnel des jeunes.  Elles  furent
          nombreuses,  dit  Denise,  à nourrir l'esprit des  gens,  en  ajoutant
          que,  sur dix  associations,  huit étaient chrétiennes  : « Cet esprit
          d'entraide perdure, qui donne naissance à d'autres associations.»

             Leur  atelier  dans  le  quartier  du  souk  Al-Nahassin  détruit,
          le  matériel  volé,  Denise et son  mari l'ont remonté en  2013,  en
          plein air, dans le Jardin public. La municipalité leur a octroyé une
          parcelle  quand,  pendant  le  siège,  ils  ont constitué  une  brigade
          de douze personnes pour veiller sur le Jardin, notamment sur les
          arbres. En 2014, les jihadistes avaient coupé l'approvisionnement
          en eau de la ville en occupant le Département de !'Eau. La Kwaik 1
          n'avait  jamais  été  aussi  haute.  Le  groupe  constitué  autour  de
          Denise a creusé le  premier puits dans Alep assiégée,  y travaillant

             Rivière qui traverse Alep.
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