Page 11 - Les jours suffisent a son emerveillement
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Un matin, sa mère l’autorise à sortir seule. La lumière de onze
heures l’éblouit. Elle s’arrête au bord du trottoir. La rue est
vide. Elle lève la tête, sa mère l’encourage de la main. Elle se
dirige le plus lentement possible vers ce qu’elle appelle en
secret son paradis. Elle compte les palmiers qu’elle dépasse,
caresse l’échine du chien qui la reconnaît. Elle s’arrête sur le
seuil. Elle retient sa respiration tandis que la brûle le rouge de
la joie. Elle pose un pied puis l’autre dans l’obscurité et tout de
suite les odeurs. Puis la petite pièce se dessine, en couleurs.
Derrière ses fabuleux bocaux, l’épicière sourit :
- Tu viens seule, aujourd’hui ?
- J’ai une année de plus.
Ses yeux vont d’un bout à l’autre du comptoir. Ici la gui
mauve, à côté la réglisse, là les caramels, les noirs d’abord
puis les clairs, ceux qui sont au lait. Elle souffle, en écartant
ses doigts :
- Cinq caramels, s’il vous plaît, Madame ?
Elle fixe la main agile qui glisse du bocal au cornet de papier
gris. Elle se hausse sur la pointe des pieds pour tendre sa pièce
en échange du trésor qu’elle vient d’acquérir. Le monde est là,
dans la boutique aux caramels. H suffit à son émerveillement.
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