Page 16 - Les jours suffisent a son emerveillement
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C’est le début de l’après-midi. Le bleu froid d’avril envahit la
salle d’accouchement. Elle est très excitée, elle rit. L’obsté
tricien et l’anesthésiste parlent du week-end qu’ils ont passé
ensemble. Us rient. Elle a réussi. Elle a réussi à le tirer jusqu’à
la vie. H l’a aidée, il l’a voulu aussi. Merci mon chéri. Elle se
souvient. Elle ne sort plus. Elle doit garder le lit. Elle doit gar
der le lit si elle veut que l’enfant vive. Elle a déjà des contrac
tions, le col est ouvert. Elle ne sort plus. Une lumière grise
s’installe dans chaque recoin de la chambre. Elle ne bouge
pas. Elle lit beaucoup. Ses articulations deviennent doulou
reuses. Elle n’attend personne sinon cet enfant auquel un jour
puis l’autre accorde une chance. Quand sa mère vient, elles
n’ont pas de temps pour parler. Elle vient chercher l’aîné et
l’emmène à l’école. Lorsqu’elle le ramène, elle dépose des
provisions et des plats tout prêts dans le frigo. Puis il y a le
linge à étendre, le repas de l’aîné, souvent du repassage. Le
jour quitte la pièce. Parfois son père vient. H lui raconte le
monde, lui redit qu’elle a été imprudente de conduire enceinte.
Il lui dit ma petite prends bien soin de toi, tu vois ton mari
aujourd’hui ? Depuis sa chambre, l’aîné chante trois capitaines
s’en revenaient de guerre rantaplanplan s’en revenaient de
gueèère. Peu à peu sa voix monte, il s’époumone. Elle rit, sans
oser vraiment à cause des contractions. Maintenant il est tout
contre elle, si petit. Les yeux grands ouverts, il la regarde. Elle
n’a jamais vu de bébé aussi petit, aussi rieur. Ils se serrent l’un
contre l’autre pour le contempler. La lumière d’avril s’est ré
chauffée.
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