Page 17 - Les jours suffisent a son emerveillement
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Elle court. Elle court le matin quand l’air de la nuit picote
encore la peau, elle court le soir quand le sol exhale l’herbe
coupée, les jardins leurs fruits mûrs. Elle court face au soleil.
Elle ferme les yeux. Elle écoute l’enfant dans son ventre. H
sera fort. H sera gai. H sera peut-être musicien. Elle court de
plus en plus vite. Elle est de plus en plus légère. L’enfant la
porte. Elle chante aussi/ Elle ne voit personne. Ils vivent dans
un petit bourg près de là capitale. H rentre tard. Alors elle
chante. Elle chante et elle court. Elle s’assied au pied d’un
arbre.TÉlle regarde son ventre énorme. Elle le caresse, sent un
pied qui pousse la peau en tension. Elle ferme les yeux,ÿ lls
savent exactement quand ils ont conçu l’enfant. C’était un
quatre septembre dans la chambre de bonne d’un ami. Une
jolie chambre avec une tapisserie de toile de Jouy et un mate
las à même le sol. La pleine lune éclaire la chambre. C’est leur
seule lampe. L’espace n’est pas assez grand pour le désir
qu’ils vivent là, de suite, et ce désir d’enfant. Ils se reçoivent
l’un l’autre tandis que la lune traverse leurs ombres. Us
s’endorment dans la course de ce va-et-vient, porte et fenêtre
closes sur la certitude de l’enfant qui viendra/Elle court de
nouveau. Les femmes qu’elle croise lui crient qu’elle est im
prudente. Elle leur sourit. Ses pieds dansent et l’enfant danse
avec elle à l’unisson des mousses et des sources.
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