Page 5 - La courbe douce de la grenade
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passèrent les premiers temps de leur exil : ténèbres pro
pres à faire se souvenir des jours si lumineux du pays
perdu, cet "à jamais" qui pénétrait, muet, dans le silence
jusqu'au cœur, à la façon d'une lame ardente.
Le drame algérien et le drame français vont de pair,
cousus ensemble dans la trame de notre passé. Plus par
ticulièrement dans l'histoire qu'engendraient les accords
d'Évian, accords qui n'étaient que la conséquence d'une
lâcheté séculaire autant que circonstancielle. Tout avait
été faussé dès le départ : conquête aveugle, sans but réel
lement affirmé ; rapports avec les autochtones toujours
mal définis ; politique d'à-peu-près que ne justifiait au
cun grand principe ; ambition mal cadrée, mal ajustée,
mal appliquée ! Surtout la volonté farouche des politi
ques de France d'empêcher l'Église, après des siècles, de
revenir en ses anciennes paroisses.
Quand on s'en va en terre étrangère pour quelque mo
tif que ce soit, hormis l'insupportable, si l'on y va sans
d'avance aimer ceux que l'on va subjuguer, on peut être
assuré de l'échec, dut-il mettre 130 années avant d'être
consommé : aimer d'avance donc le peuple que portait
cette terre nouvelle ; il aurait peut-être ou sans doute ac
cepté d'être aimé en aimant à son tour - ce que firent
nombre d'Algériens -, mais ne pouvait que se rebeller s'il
découvrait ne l'être pas.
En Algérie, en marge des pouvoirs politique et éco
nomique, beaucoup avait été fait qui portait cette marque
insondable de l'amour : mais les pouvoirs n'ont aucune
idée de l'amour dont ils pourraient investir leur politique
- le respect de chacun en eut été la marque -, ils n'ont
d'autre guide que le soutien acheté qu'ils rencontrent
dans une certaine frange du peuple.
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