Page 3 - La courbe douce de la grenade
P. 3
Préface
Saluer une enfant qui se souvient, mais beaucoup plus
tard : les images et impressions reçues à cinq ans demeu
rent inoubliables. D'autant plus qu'il y eut déchirure à
jamais ouverte : toujours douleur dans le souvenir blessé.
Oui, ceux qui n'eurent d'autre choix que l'exil sans es
poir de revenir jamais sur les pas de leur enfance et de
leur amour - condamnation à vie ! -, la France a long
temps pensé qu'il était possible de n'en pas tenir compte :
et d'imaginer que leur souffrance, intolérable pourtant,
finirait bien par disparaître... Avec eux ? Qu'il était ainsi
possible de les inscrire au livre d'une nécessité sans état
d'âme : l'Histoire ! Et Dieu le sait ! le très grand nombre
de nos compatriotes, c'est une horreur à rappeler, n'eut
alors aucun état d'âme tant la plupart se trouvaient sou
lagés qu'un terme eut été mis à ce qu'il était encore
convenu de nommer « les événements d'Algérie ».
Il s'agit, dans les pages d'Anne-Lise Blanchard, de vies
quotidiennes, des plus simples : où le bonheur se lie au
désastre, suspendu à quelque attente qui peu à peu allait
sombrer dans la mort dont le nom est désespoir. Des vies
qui se manifestent comme partout ailleurs, mais avec
l'exubérance propre à cette communauté qu'un pouvoir
lointain va livrer au déracinement, soucieux non de la
chair des hommes et de leur âme, mais d'une gloire qui
va effacer d'une signature au bord d'un lac plus d'un
siècle de labeurs et d'ivresses, de joies folles et de drames
propres à une terre indifférente à toute mesure. Puis au-
delà, l'accoutumance qui se lie sans jamais l'apprivoiser à
la douleur de la chair, à la souffrance de l'être.
7