L'horizon patient, Anne-Lise Blanchard, Ad Solem éditions, 2022,17€

Ce recueil construit en 8 parties, composé de poèmes courts et concis avec une préface écrite par Colette Nys-Mazure est une ode au silence et à la lumière. L'auteure ne fait pas dans le bavardage mais dans le condensé. Anne-Lise nous embarque sur ses chemins de marche. Que ce soit à la ville ou à la montagne, elle aime arpenter les chemins de traverse. Du lac de Lugano à Collioure en passant par Lisbonne ou Carcassonne, elle aime à déchiffrer d'autres univers mais celui qu'elle préfère avant tout c'est celui de la montagne : les Alpes, le Vercors au creux duquel  elle aime à se ressourcer " la montagne a tenu promesse". Elle y retrouve la lumière, le silence " j'implore le silence, j'implore la lumière", "le silence clarifie l'espace" La musique, tout comme la littérature, ont la part belle dans ce recueil, Rousseau et Berlioz font un bout de chemin en notre compagnie. Le voyage musical tantôt sur un air de fado tantôt sous les arabesques d'un violoncelle nous embarque pour de nouvelles contrées. L'auteure partage avec le lecteur les arbres de son enfance, le vieux tilleul, les fleurs de prunus et de pommiers. " les arbres délivrent/aux marcheurs/leur message d'écorce" Le thème de la bordure "bordure d'automne", de la limite, de la lisière " je me tiens à la lisière" est très présent dans ces poèmes. Elle observe le monde sur ses franges. La marcheuse qu'est Anne-Lise cherche toujours une échappée. Le poème se fait en mouvement tout en épluchant les grands sujets de l'existence. " le sentier déroule la pensée ".  Réflexion rattrapée par la limite du corps " la hanche bougonnante, la hanche grince, le pas s'est raccourci". Jusqu'où aller? Certains jours plus légers que d'autres " le soleil gambade/dans les jambes".  Quand elle n'est pas sur les chemins, l'auteure est derrière sa fenêtre à l'affût du monde, toujours en questionnement sur le sens de nos vies, de la vie, recherche spirituelle sans fin, " Immobile/ sans tain face à la fenêtre/ je me tiens à la lisière/ du vide qui gagne/en sourdine …" 

Portulan bleu n°40   Chantal COULIOU

 

 

ANNE-LISE BLANCHARD / L’HORIZON PATIENT/ Ad Solem éditions, 17€
Et si la poésie se raréfiait comme l’air… On est ici en altitude. C’est justement pour cela que l’on creuse
jusqu’aux crêtes, espérant atteindre les sommets du vers aux ambitions de transparence. Voyage, voyage !
entre musiques et paysages. Difficile d’éprouver autre chose qu’une nostalgie rêveuse dans le cours de ce
rangement/ arrangement parfois un peu nerveux. On se demande alors ce qui s’est arrêté et ce qui peut
encore reprendre comme souffle pour s’inventer de plume, d’oiseau, jusqu’à reprendre son envol. Cette
voix n’épargne pas une certaine lassitude dans sa « sobriété éloquente » au coeur de la beauté. Mais surtout
le corps « Je me roule me retrouve/ m’étire » (p.15), impliqué dans l’écriture comme jamais : une seule
prise : « l’empêchement du réel/ dont ton corps par/ hoquets/ écrit l’histoire… » (p.17). « Sète/ le vent/
court dans nos veines/…coeur de chair » (p.29). L’effraction vient du souffle, de la voix, une voix de fado
« qui délie la pesanteur / du silence/ au creux de nous-mêmes » (p.26). Ce qui patiente au fil des pages,
c’est« L’ apaisement/ … venu de la neige // Lent silence lent/ qui accorde le pas /au ciel » (p.40). On croit
que la boucle est bouclée, mais non : « le pied dérape » (p.44). Signe de l’inattendu sur la toile de
« L’horizon patient / Balaiera / Les facéties de l’usure ». Et l’on trouve aussitôt à la page suivante : « Ma
foulée/ réduite/ me tient en laisse », c’est le même « horizon patient » ; il se joue un peu de notre condition
tandis que l’énonciation, elle, enchaîne, déjouant l’immobilité. Le parallèle entre le pas et l’écriture n’est
pas synonyme de mètre dans cette poésie. La polysémie du pied marque autrement le paysage de la page,
alors que le titre performatif du recueil nous avait averti d’un bémol : « La hanche bougonnante: tirera-t-elle
un trait sur l’impatiente/ échappée vers/ l’horizon … » (p.50). Quelle « mémoire des
muscles » « d’enjambées / désormais gelées. » ? Et surtout dans quel temps se situe l’énonciation ? Le
parallèle page / paysage continue : « Suite de parenthèses ces champs » (p.69) et c’est un voyage en douce
où « Goûter la nudité de la pierre » (p 100). On ne sait plus où sont les épithètes, où sont les êtres, où sont
les attributs, où exactement ce passé commence… Peut-être dans l’avenir, qui au lieu de s’ouvrir, faute de
corps, s’imagine forclos dans chaque parcelle de l’air. Quelque chose de désappointé « que le pas/ ne
reconnaît plus » (p. 46) comme si le corps ne répondait plus, au point qu’il invente et imagine que les pieds
désertent la marche. La « hanche bougonnante » du début semblait pourtant marquer un processus
irréversible. Si le corps était un avertissement de l’absence dont l’écriture serait un témoin naïf, alors « le
pied d’agripper des mots ébréchés / épithètes cabossées » (p.54) rendrait la poète si humaine qu’elle ferait
un peu la nique — imposerait patience — à cet horizon dont le gouffre est limpide. Par exemple, avec cette
phrase qui résiste : « d’un sac plein d’oublis alourdie » pour une « Intranquillité du / poème / quand les
mots sombrent puis comme/ d’un océan ressurgissent // À nouveau le monde / nous parle » (p.62). Voici
donc le meilleur qu’on nous garde pour la fin, lorsqu’enfin « Le rire tressaille en chaque pas » pour aborder
la dernière partie du recueil. C’est d’une géo-poétique qui n’est qu’apparemment légère et dont il faut
parler pour rendre justice à ce très beau recueil d’Anne-lise Blanchard. Là où l’épigraphie trace le pas des
passantes dans « le bel aujourd’hui ».

 Armelle Chitrit Verso septembre 22

 

Anne-Lise Blanchard, L’horizon patient – Recours au poème

https://www.terreaciel.net/Mille-Feuilles-a-multiples-voix-multiples-lectures-octobre-2022

 

Anne-Lise Blanchard, L’Horizon patient, Préface de Colette Nys-Mazure, Ad Solem, 2022, 112 pages.

Ce n’est sans doute pas un hasard si nous apprenons dans la biographie d’Anne-Lise Blanchard qu’elle a été danseuse, chorégraphe : un des fils conducteurs de son nouveau recueil de poésie, l’Horizon patient, est la marche. Ce thème recouvre toute la gamme des sentiments qui s’y rattachent : de la douleur d’être percluse (« […] la hanche grince / les genoux refluent / les pieds passent / au rabot / du sentier qui poursuit seul / sa course »), à la joie de l’évolution la plus libre ( […] et le rire tressaille en chaque pas / que je lance comme noisette / à l’écureuil ).

Une des qualités de la poésie de l’auteur est d’aborder les choses sans fard, sans enluminure, tel que dans cet aveu :

Je me suis assise devant le fleuve et dimanche

passe à basse vitesse

comment dis-moi rassembler le temps

éclaté

enfin m’habiller

de mon enveloppe de peau qui

contenait le monde et les mots du

cœur

Le recueil est émaillé de poèmes courts comme autant de petit flashs qui viennent ponctuer une quête de sens et de beauté, et qui ont pour cadre des étapes bien précises :

Le feu couve sous l’omoplate

dans la parenthèse

de l’éblouissant silence

dans la presqu’obscurité

les lèvres s’abreuvent

aux feuillages des vitraux

entre deux fûts courent

des oasis de joie

du long prier point

l’invisible face-à-face

à la saveur d’argile

(Église de Dullin)

Nous devinons qu’une foi discrète couronne ce cheminement, comme ce glacier dont les feux du soleil couchant illumine le lac de Lugano :

Lac de Lugano

en un vivifiant baiser le feu

des glaciers

le porte à incandescence

Pour en revenir au leitmotiv de la marche, un poème intéressera particulièrement les lecteurs du Porche, celui qui porte comme en‑tête « Dans les pas de Péguy, aux pèlerins de Chartres » :

[…] Quel souffle ici les pousse

paupières alourdies épaules blessées

entailles aux pieds semant

des miettes

de mots aujourd’hui

étrangers – précieux

tessons

jusqu’alors enfouis

dans les mémoires familiales -

anachroniques chemineaux qui

en toute hâte marchent

vers la porte de lumière qui se tient

ouverte

au fond de leur regard […]

Une poésie nourrie de l’Essentiel, telle que l’horizon littéraire français, aujourd’hui, en mériterait davantage.

                                                                                     Jean-Pierre Rousseau, Le Porche