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Le Haiku, et Anne-Lise Blanchard le prouve, selon Jacques Roubaud, est écrit pour savoir ce que fait la langue. À savoir comprendre les conséquences de son "incongruité" sur son rapport aux choses et aux êtres comme à celui de la propre transgression de l'auteur par rapport au réel : Samedi / ouvrir les yeux sur rien / de la journée ou Passages ruelle / nous marchons serrés tout contre / un rat s'esquive.

La question de la poésie est à chercher chez Anne-Lise Blanchard dans sa fabrique des questions annexes : ses sujets, thèmes et narrations. Sans ces questions, elle ne se serait pas. Mais ces éléments sont tout autant de façons d’éluder celle de fond dont le haïku est l’inéluctable produit : la question même de son origine.

Pour qui se veut poète - et l'auteure le prouve - l’enjeu est de cerner quelque chose de juste du rapport du sujet à sa propre expérience du monde. Mais le monde n’est pas une sorte d’en deçà ou d’au-delà du langage : il est toujours déjà fait de lui, constitué comme monde par le réseau du symbolique en elle.

Le ravissement de la marche reste à ce titre un monde clos mais ouvert. La créatrice y refuse une naïve régression fusionnelle ou les exaltations d’une sublimation nourrie de pathos. D’où le combat pour se dégager de ce qui, du corps constitué de la langue, vient faire écran à une langage de l’expérience intime pour en récuser l’inouï et l’assigner au lieu "commun".

La question qu’affronte Anne-Lise Blanchard est moins celle de l’irrémédiable écart entre les choses et le langage que celle du fossé qui s’ouvre entre la coagulation de représentations du réel et la façon par lequel celui-ci affecte la vie du poète. Cela ne se résorbe pas dans une imagerie sertie de figures repérées.  Tout ne prend sens qu'en venant à elle comme obscurité, confusion insensée, flux d’affects.


Jean-Paul Gavard-Perret

Anne-Lise Blanchard, Le ravissement de la marche, L'Atelier du grand tétras, juillet 2021, 96 p.-, 16 €


Anne-Lise Blanchard, Le ravissement de la marche, cinq encres de Sabine Péglion, L’atelier du grand Tétras, 2021, 92 pages.

Dans ce nouveau recueil, Anne-Lise Blanchard poursuit le ravissement de sa marche en haïkus. « malgré tout se tenir droit » et même avancer… Le mouvement fait partie intégrante de la vie et de la poésie de cette voyageuse du corps et de l’âme.

Ses poèmes ciselés ponctuent le chemin avec un festin de couleurs, de frémissements, avec l’écoute de ce qui gronde, pépie, siffle, chuinte... Des parfums effleurent nos narines, ne sommes-nous pas encore « Vivants/ un jour de plus ? » Du nouveau-né au corbillard, du ciel noir à la lumière, la poétesse nous offre un regard attentif à la pointe des instants qu’elle capte. La face sombre du monde n’est pas gommée : la poubelle, les plastiques en folie, le chaos, la solitude, « le bandeau noir sur la ville/ le fleuve/ ce 11 novembre ». L’encre de la couverture où domine le rouge accompagne les jaillissements du désir, du plaisir dans la marche vers soi, vers les autres dans un univers en reliance avec le végétal et l’animal. Si la nature reste essentielle et fonde une philosophie basée sur le respect, l’émerveillement, l’humilité, la ville est aussi présente : « Matin encore gris/ dans le tram/ stigmates sur le visage ». Les encres de Sabine Péglion où domine le bleu résonnent avec « l’éclair bleu du matin », « mai qui pétille » et avec de nombreux versets. Sur la crête de la montagne ou sur celle des poèmes, nous voici en dialogue avec l’univers entier, dans le ravissement d’instants de grâce. Peut-être devenons-nous plus conscients de la chance de notre passage ? Et pourquoi ne pas » gravir l’échelle adossée/ au mur épais de brouillard/ décrocher le soleil ? »

Jacqueline Persini

Terre à ciel, novembre-décembre 2021

https://www.terreaciel.net/Trois-lectures-de-Jacqueline-Persini