J-P Gavard-Perret - ANNE-LISE BLANCHARD ou LA SYNTAXE ELEMENTAIRE

 Anne-Lise Blanchard, Qui entend le jargon de l'oie,  52p., 12 Euros.

La beauté qui nous est donnée, 40p., 10  Euros

Editions Eclats d'encre, 14, rue Gambetta, 78 600 Le Mesnil-Le-Roi

S'il existe un secret - un secret fondamental et qui ne peut que résister - c'est pour Anne Lise Blanchard celui de cette syntaxe élémentaire de l'âme humaine dont elle emprunte l'articulation à la révélation solaire, et qu'elle transpose, à travers différents motifs, dans plusieurs de ses poèmes dont les derniers haïkus de Qui entend le jargon de l'oie  tel que celui-ci :

" Comment fleurir au printemps

            quand le silence ronge chaque jour

            l'épaisseur de l'écorce ? "

Le haïku devient ainsi ce qui appartient, selon le mot de Mallarmé, sa " besogne propre " - c'est à dire outil de réflexion et d'émotion, puisque cette forme reste sans doute une des plus aptes pour garder tout en livrant des arpents le secret de l'être comme une lettre " cachée ".

Ce livre, comme le précédent, La Beauté qui nous est donnée, est donc un lieu d'énonciation ambiguë qui nous plonge au plus près du secret de l'être  Car ce qui fait le mystère de l'être, c'est l'être même : c'est pourquoi le haïku devient le lieu d'énonciation qui, pour recouvrir une portée poétique, n'est ni un traité d'art rhétorique ni un manuel de composition, mais le territoire très codé capable de condenser une expérience dans laquelle l'écriture est contrôlée mais en même temps ne se pense pas  ou se pense en avançant : ce qui fait sourdre tous les méandres de l'être, ses couches sédimentaires :

" Je suis par le vent qui craque

            le ciel sans reflet la poule d'eau égarée

            confuse la beauté est là ".

Ce haïku est important. Car tandis que tant d'auteurs font surgir par leur écriture des miasmes morbides, la poétesse  cherche toujours à atteindre, là où le sujet de l'écriture s'efface autant qu'il se montre, une sorte d'évidence ou de croyance : celle de l'être lui-même et de sa présence au monde.

Loin de s'éclipser du poème Anne-Lise Blanchard se l'approprie et s'élit comme le lieu de sa " révélation " poétique : il y a là entremêlés les fils de toute l’oeuvre et de ses croyances plus que de ses fantasmes. Il  y a là aussi un paradoxe : la disparition élocutoire du poète au profit d'une révélation, qui dévoile tout autant qu'elle voile (ce que les adeptes de la littérature actuelle de l'aveu semblent avoir fondamentalement occulté). En effet, si Qui entend le jargon de l'oie  porte au jour quelque indice sur la poétique de leur auteur, il ne faut pas oublier que ce n'est jamais que dans la traduction d'un discours emprunté à l'Autre, à un Autre incarné à la fois par l'auteur  et par le genre " exotique " qu'elle choisit que se produit un surcroît d'invention langagière donc d'une autre approche du réel.

En assumant ainsi le haïku, d'une certaine manière Anne-Lise Blanchard se dérobe derrière sa voix, derrière le voile de sa voix, mais elle laisse toutefois l'espace d'un décalage, d'un interstice  ( celui qui sépare la reprise de la simple prise de parole ) par où sa présence se re-marque et elle montre ainsi combien tout secret est aussi une dé-marque..

Ce qui est vrai pour  cette suite de haÏkus l'est aussi pour d'autres lieux stratégiques du corpus de l'auteur. Son sujet de l'écriture semble souvent révéler des indices de sa poétique suivant un mode similaire de travestissement dans sa façon de dévoiler ou d'enrober le secret qui  trouve chez elle des tournures remarquables que bon nombre d'écrivains devraient aller revisiter avant de penser pourvoir afficher comme sur un étal ce qu'ils prennent pour vérité première de leur mystère.

 Chez la poétesse la poétique du secret et de la beauté pénétrante qu'elle recèle dérive du jeu de voix, c'est-à-dire du fait que le sujet de l'écriture, sujet emblématiquement moderne en tant qu'il est tramé d'une voix ouverte à l'extase. On l'aura compris, l'auteur nous rappelle en toute simplicité que la transmission ou l'interférence du sens au plan de l'énonciation sécrète son mystère, mystère qu'elle tente d'infiltrer par différentes postures  d'  " adresse ". D'où son art de ciseler le tissu du discours en différentes matières, dimensions  ou " dit-mensions " .

Textes à plusieurs ententes, l'auteur fourbit ainsi ses réponses. Cependant la complexité de l'écriture de tels textes ne les laisse pas réduire à une lecture univoque. Mais c'est en vertu de ce dispositif  que ces textes demeurent secrets et riches ou plus exactement qu'ils restent indicatifs du secret. On peut à ce titre regretter de voir de combien peu d'exégèses cette œuvre a fait l'objet.

Ajoutons qu’Anne-Lise Blanchard connaît trop bien l'art de la lecture, sa valeur d'usage, celle qui mérite d'être transmise mais autrement que sous le mode de l'échange vulgaire, pour croire qu'on apprend vraiment à lire sur des textes transparents, par le truchement de l'aveu.  Elle sait  ce qu'apparemment on a oublié aujourd'hui : combien le secret se frotte à la résistance du texte, combien le texte se frotte à la résistance de l'aveu.

Le texte n'est jamais un avènement, et le secret un événement. C'est bien plus compliqué que cela et l'auteur par sa pratique même nous le rappelle dans son dernier livre plus que dans tout autre. Ecrire ce n'est pas avouer mais "  à travers le voile dernier qui toujours reste " (Mallarmé) c'est  se frotter contre la résistance du texte, faire l'expérience de l'étranger, et buter sur une réserve de sens et non un épuisement dont l'aveu serait la signification, et qui d'une certaine manière signerait la " fin " de la poésie.

 

Le Mensuel Littéraire et poétique n°346

Anne-Lise Blanchard

Qui entend le jargon de l'oie, Anne-Lise Blanchard, éd. Éclats d'encre, 14 rue Gambetta, F-78600 Le Mesnil.

Avec de l'encre jusqu'au bout des doigts, portée vers les quatre saisons, comme par celles-ci, à les occuper volontiers grâce à un regard posé sur le temps à l'écoute du temps, Anne-Lise Blanchard note ce qui frange chacune de ces époques, et, dans la circonstance en cause, leur silence (... qui crépite I consonne ineffable I qui ronge chaque jour l'épaisseur de l'écorce / acéré dont rosés et papillons élargissent les plis.,.), silence avant-coureur et accompagnement des mots seulement. / 'puiser le chant en soi/ruissellement de novembre parler à sa solitude / ' le ciel froid... rétracte l'élan de dire / on est au bout du monde / * dix mots seulement pour une langue de l'éphémère / entendre l'herbe mélomane / * rues sourdes / un violon défie le vide bref frisson de vie

Parallèlement, la poétesse observe des oiseaux que le temps qu'il fait n'apprivoise pas forcément (canards, colverts, \'oiseau des villes, oies sauvages, mouettes, une grue, le rouge-gorge, oies sauvages à nouveau, la mésange, la poule d'eau, des grues, le merle, l'oiseau porte-pluie, l'oiseau... qui rit), les voit figurer en touches, puis en mots, puisqu'elle peint les passages, les désirs, harmonisés avec le rythme sans pareil du ciel. Elle réfracte son observation colorée, voit alors des présences, ayant la sensation d'en accueillir, et en tutoie même une toujours proche du silence (et des âmes qui y entrent ou bien en sortent), ce au voisinage du moulin des jours, de la vie « qui se dévide » (comme « l'écheveau du temps lentement se dévide », Charles Baudelaire) et de celle précieuse des oiseaux, porteurs de... vie, une envolée à travers laquelle, par quatre fois, transparaît un petit tableau analogue à « un espace à émouvoir », André Gide. Point rouge sur une page / la coccinelle un instant encore, avant que ne revienne une lumière incertaine, et, ainsi de suite - immuablement ?         ,  _ ...

Jeanpyer Poels

Qui entend le jargon de l'oie, par Anne-Lise Blanchard, Éclats d'encre, 2006, 52 pages, 12 €.

Parfois quatre, voire cinq vers semblent vouloir desserrer le carcan du tercet. Haïkus sans la stricte métrique originelle ou les originalités ri-mées, à l'occidentale, d'un Friedenkraft, il subsiste dans les courts poèmes de ce recueil un thème : la nature, avec sa suite de saisons. Anne-Lise Blanchard évoque ses émotions - jour/nuit, eau/terre, vé­gétal/animal, ville/campagne, froid/chaud, etc., pourtant son dua­lisme est sans manichéisme. À mots feutrés, elle esquisse ses amours : « d'un geste buissonnier / tu me déplies » sans humeurs, contient la rumeur avec humour : « Brume de Noël / bande de gaze sur les plaies / rouge vif des villes ».

Jean-Marc Couvé

DIERESE