Anonyme euphorbe, Anne-Lise Blanchard (mai 2009, 11 €) - Carnets du dessert de lune

   Qu’est-ce, au juste, qu’être à la vie ? Quelles exigences intimes ? Quelles limites à franchir (affranchir) ou non : parabole / de la fission / faille // jusqu’à défaillir (13) ? L’auteure, avec douceur, se met en quête des réponses qui lui sont propres : reprendre     avec méthode / l’ensemble / des sens (14), redécouvrir, se recréer la matière de l’intérieur, et, à nouveau forger les mots : une langue / se forme se déforme / se reforme (17). La création poétique est outil de connaissance intime du monde et des multiples rencontres possibles avant que tout se replie au cœur / du silence (17).

   La langue d’Anne-Lise Blanchard se situe A l’orée / des peaux (24) : j’écris     j’efface / ce qui exaspère (25). Très dense, elle ne cesse d’inventori(er) : nous-mêmes, corps et âme, et l’autre, généreusement multiplié au fil des pages.

Paul Badin  - N4728 n°17, janvier 2010

 

Anonyme Euphorbe, Anne-Lise Blanchard, éditions Les Carnets du Dessert de Lune,
61 p., 11 euros. Illustration de couverture : Vio

Entre le vide et le trop plein du désir amoureux ou celui d’écrire, il s’agit de se jeter « jusqu’à la fissure », jusqu’à l’ébruitement de la peau et des mots.
La mer, lieu originaire, métaphorise le désir dans ses vagues hautes. S’en séparer permet de naître à soi, d’ouvrir sa propre page, de jardiner perte et vide. Dans le vif de l’entaille, se déploie « l’éventail/ de l’imaginable » où dans un clair obscur s’inventent les nages des corps. Quand se travaille la déchirure, surgit le prononçable « des lignes de partage des souffles ». Sous les griffures du papier, les chiffonnades de la peau, se cherche la distance, la bordure qui permet de « voir avec sa peau ». Alors s’agrandit l’imprévisible, s’articulent le blanc et l’inaudible. Et c’est dans « l’obstination de l’encre » que se lit l’obstination de vivre. Grâce au ressac des mots, aux ruptures de phrases et du sens, « la nuit sans bordure » rencontre le mouvant de « la lumière d’écume ».
Comme le relève Alain Wexler dans sa préface, le lecteur est placé sans cesse « au bord de quelque chose » Et pourtant dans les poussées de la « langue d’eau » de la poétesse, le désir avec sa « rouge tête de gargouille » nous fait signe. Comme si nous pouvions partager son « bleu exact », ne point craindre son « insolence face à la mer ».

© Jacqueline Persini-Panorias – POESIE PREMIERE